UN PROJET INNOVANT GRÂCE À LA MATÉRIALITÉ DU BÉTON

Créteil, ville nouvelle

Tout juste intronisée préfecture du nouveau département du Val-de-Marne, Créteil, petit bourg agricole jusque-là, voit sa population rapidement augmenter au cœur des années 1960. Pour répondre à la demande urgente de logements et d’équipements, l’opération du Nouveau Créteil est lancée sur un site de plus de 400 hectares. L’aménagement des sept quartiers qui composent ce nouvel urbanisme est alors confié à sept architectes différents, dont Gérard Grandval. À leur programme, un seul leitmotiv: « montrez-nous que l’on peut faire autrement! ».

 

Gérard Grandval, architecte iconoclaste

Lauréat du Grand Prix de Rome en 1961, Gérard Grandval vient de se faire remarquer comme lauréat du concours pour un palais de l’air et de l’espace avec un projet totalement futuriste. Il a aussi à son actif l’aménagement des boutiques de la marque Cacharel ainsi qu’un prototype de chalet de montagne en forme de coquille, dont quelques exemplaires sont construits en 1965 à La Plagne et Franconville. C’est un créateur iconoclaste, partisan des formes cylindriques et graphiques, annonciateur de l’extravagance pop des années à venir. À Créteil, il décide de travailler sur un projet d’habitations qui se distinguerait des grands ensembles rectilignes en vogue depuis les années 1950. Une vision organique et brutaliste, un plaidoyer pour l’innovation, la plastique et la matérialité du béton.

 

La Cité des Choux-fleurs

Ce programme de logements s’implante sur un terrain de 29 hectares, dans un triangle entre l’autoroute 86 et deux départementales, au sein de l’ancienne plaine maraîchère de Pompadour, où se cultivaient autrefois… des choux! « Il n’y avait rien, se rappelait Gérard Grandval! Pas de site, pas d’historicité, rien à quoi se raccrocher, juste des trognons ». L’architecte dessine rapidement un plan masse singulier tout en cercles, un ensemble d’immeubles ronds bordés de balcons en forme de pétales – et qui sera judicieusement surnommé quelques années plus tard la Cité des Choux-fleurs. En mai 1970, le permis est accordé.

 

ENTRE ARCHITECTURE ORGANIQUE ET SCULPTURE

Apologie de la courbe

« J’ai toujours été persuadé que les gens souffrent d’habiter des bâtiments sans visage, des grands ensembles qui ne racontent rien, déclarait Gérard Grandval. Il faut créer des formes plus souples, plus végétales. Des villes plus féminines, plus accueillantes. Et quand le paysage n’existe pas, il est indispensable de l’inventer. » Chaque tour abrite quatre appartements par palier, de trois et quatre pièces toutes de forme trapézoïdale, mais avec néanmoins un angle droit afin de faciliter l’ameublement. Au pied de ces tours, deux écoles en anneaux s’insèrent naturellement au sein d’un aménagement paysager au relief modelé où tout est courbe, de la voirie aux cheminements piétonniers, en passant par les parkings.

 

Épis de maïs et dahlia

Gérard Grandval dessine d’abord cinq groupes de bâtiments composés chacun de trois « épis de maïs » et d’un « dahlia ». Ce dernier est équipé d’une rampe de parking à pente tournante pour stationner plus facilement les véhicules sur ce site inondable. Le coût de cet équipement complexe, ainsi que la présence de poches de gypse dans les sous-sols, font augmenter le budget et oblige à revoir le programme à la baisse : au lieu des quinze prévues, seules dix tours de 21 mètres de diamètre, de quatorze étages et de 38 mètres de haut, sont construites.

 

Des balcons en coque de béton moulé

Le chantier est mené par l’entreprise Bouygues : les tours sont édifiées à partir d’une structure en béton sans mur extérieur porteur. Les façades, largement vitrées et agrémentées d’allèges colorées, sont produites en série. Les 1 350 balcons, de 7 mètres de large par 2 mètres de haut et d’un poids d’environ 5 tonnes, sont préfabriqués dans deux moules métalliques et arrimés grâce à une nervure inscrite dans l’axe des murs de refend. Il faut 8 mois à l’entreprise EPI-Artbéton pour mettre au point ces coques de béton moulé, notamment pour solutionner l’écoulement des eaux.

 

UN REPÈRE DANS LE PAYSAGE PARISIEN

La fleur comme anti-cube

C’est pour compenser la petite surface intérieure des 654 appartements que l’architecte a imaginé ces balcons généreux qui animent les façades et donnent tout son caractère au lieu : en forme de pétale à longue tige, ils sont disposés en quinconce sur les façades et rappellent, entre autres, les tours de Marina City construites par Bertrand Goldberg à Chicago. « La fleur, c’est l’anti-cube, résumait Gérard Grandval. C’est en imaginant la vue de dessous que j’ai fait ce projet. » Les balcons n’ont toutefois pas qu’une vocation esthétique : leur forme atypique protège aussi du vent et des regards.

 

Jardin vertical

Gérard Grandval envisageait la végétalisation de ces balcons avec de la vigne plantée et des jardinières à l’intérieur même des coques de béton, à l’image de la Planter Box House par exemple. Un jardin vertical qui aurait permis de moduler la « peau » des tours en fonction des saisons. Un projet qui ne verra finalement jamais le jour…  « Les architectes ont un peu trop tendance à croire que seuls le volume ou la structure sont significatifs, regrettait l’architecte. Alors que l’épiderme change tout! »

 

Une réalisation transgressive

Au fil des années, l’image des Choux évolue. « Ils était d’abord mal vu par le milieu des architectes, alors assez doctrinaires dans leur idée de la frugalité, se remémorait il y a peu Gérard Grandval. La notion d’événement plastique, surtout pour des habitations, était pratiquement absente à l’époque, alors qu’elle est très répandue aujourd’hui. » Devenus les bâtiments les plus célèbres de Créteil, leurs silhouettes de béton sont facilement repérables de loin. Utilisés régulièrement comme décor de films ou de clips, ils sont réhabilités en 1998 puis en 2010, et reçoivent le label « Patrimoine du XX^e siècle » du ministère de la Culture en 2008. « S’ils sont parfois corrosifs, au moins, une relation se poursuit autour de ces immeubles, se réjouissait Gérard Grandval. Par son importance symbolique, cette réalisation transgressive est un événement durable. »