Repère iconique de la ville du Havre, le centre culturel Le Volcan est une œuvre majeure du maître brésilien Oscar Niemeyer. En rupture harmonieuse avec le travail historique d’Auguste Perret, ses courbes de béton sont une prouesse technique qui transcende les lieux pour mieux en faire une architecture en mouvement, un plaidoyer pour un matériau sensible et poétique.
RÉINVENTER LE HAVRE
Auguste Perret, pionnier du béton
Les chiffres sont éloquents : 5 000 morts, 90 000 sans-abri, 12 500 bâtiments détruits. Septembre 1944 : Le Havre est en ruine, l’aviation anglaise vient de procéder à d’intenses bombardements afin de détruire la base allemande installée là. Raoul Dautry, ministre de la Reconstruction, confie la réhabilitation de cette table rase à Auguste Perret en février 1945. Pour ce pionnier de l’architecture moderne, l’élévation d’une ville toute en béton constitue la consécration et l’aboutissement d’années d’expérimentations autour de ce matériau.
Laboratoire urbain
« Le béton, c’est de la pierre que nous fabriquons, bien plus belle et plus noble que la pierre naturelle », revendique Auguste Perret. Mariant classicisme et modernité, l’architecte dessine au Havre un paysage urbain harmonieux, dont le rythme n’oublie jamais la dimension humaine. Autant chantier que laboratoire, la ville renaît de ses cendres en se parant d’un béton parfaitement mis en valeur par la lumière maritime normande. Un raffinement qui se lit dans ses différentes textures et couleurs selon son traitement : bouchardé, layé, grésé, poli, lavé, brut de décoffrage… Le béton apporte toutes ses modulations au service d’une renaissance remarquable.
Oscar Niemeyer, une histoire française
Certains bâtiments symbolisent parfaitement cette transformation, tels l’Hôtel de ville ou l’église Saint-Joseph. Au fil du temps, d’autres grands noms contribuent à la métamorphose de la ville : Guy Lagneau et son Musée Malraux (1952-1961), Guillaume Gillet et sa passerelle à haubans asymétriques (1969), mais surtout Oscar Niemeyer et son Volcan (1982). L’architecte brésilien est exilé en France depuis les années 1960 et a déjà réalisé le siège du Parti communiste français à Paris et la Bourse du travail à Bobigny. Au Havre, il trouve un terrain d’expression parfait pour ses courbes bétonnées (comme celles de son auditorium de Ravello) qui viennent dialoguer avec la majestueuse orthogonalité de l’architecture d’Auguste Perret.
LE VOLCAN, UNE SCULPTURE HABITABLE
Multiplier les points de vue
Le chantier de ce qui est alors nommé La Maison de la Culture débute en 1978 pour se terminer en 1982. L’ensemble est composé de deux édifices qui semblent surgir du sous-sol et rappellent les cheminées de paquebots transatlantiques. Oscar Niemeyer rabaisse le niveau de la place de 3,70 m pour créer une architecture inédite qui tienne compte du rude climat et de l’environnement alentour. Le but est aussi de dissimuler tout ce qui peut l’être et de laisser le sol aussi aéré que possible, tout en multipliant les points de vue pour les passants.
Habits de lumière et de béton
Les éléments du programme sont répartis entre deux bâtiments distincts: l’un haut et massif, l’autre plus discret et ouvert. À la surface aveugle et dissymétrique du théâtre répond ainsi la façade régulièrement trouée de meurtrières de la salle polyvalente. Les deux volumes sont caractérisés par une enveloppe béton en coque dite parabolohyperboloïdique, qui joue avec la lumière. Les coffrages sont réalisés avec des planches de bois sablées pour conserver ensuite un parement brut aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur, une coloration blanche étant ensuite utilisée pour éclaircir les façades.
Choc esthétique
Rapidement surnommé Le Volcan, le lieu est caractéristique des recherches plastiques d’Oscar Niemeyer qui transforme sa construction en sculpture habitable résonnant avec l’œuvre d’Auguste Perret alentour: un choc esthétique dans le paysage répétitif du centre reconstruit, un dialogue entre les deux maîtres du béton armé dont les réalisations se mettent mutuellement en valeur. L’architecte brésilien décrit le Volcan comme « une chose non baroque mais avec beaucoup de liberté. »
LA POTENTIALITÉ DU BÉTON
Architecture de courbes
Cette architecture toute en courbes et sensualité est le fruit des potentialités du béton (plus de 40 000 m3 sont ici utilisés) et de ses incroyables performances techniques et plastiques. Le voile du Volcan a une épaisseur variable, deux fois plus importante à la base qu’en partie supérieure. Une reprise des efforts horizontaux se fait au niveau du plancher du sous-sol par une dalle de béton armé évidée de plus de 60 cm d’épaisseur! La coque est composée d’une isolation thermique et acoustique, d’un pare-vapeur bitumeux, de voiles minces de béton inclinées et appuyés sur des planchers successifs, et enfin d’une peinture assurant l’étanchéité.
La NASA à la rescousse!
Prouesse technique, le projet a obligé ses ingénieurs a réalisé les plans et les tracés des coques à l’aide d’un programme informatique dérivé d’un module de calcul spatial de la NASA! Les nappes maritime et phréatique alentour ont aussi nécessité le dressage d’un batardeau fermé par une enceinte de parois moulées de 22 m de haut, alors que 239 pieux de fondation assurent l’assise de l’ensemble! Pour éviter une déformation du bâtiment, des études sur le phénomène de dilatation lié aux variations thermiques ont aussi été effectuées, des calculs tenant compte du vent, de la température et de l’ensoleillement.
La beauté du contraste
« La beauté c’est le contraste, comme au Palais des Doges de Venise où les colonnes avec leurs arabesques offrent un contraste splendide avec la paroi lisse qu’elles soutiennent, résume Oscar Niemeyer. La tradition est importante mais c’est un poids. Il ne faut pas retourner au passé. Il faut innover, inventer, chercher à faire des choses différentes avec les matériaux actuels, faire une architecture libre et créatrice. L’architecte doit créer aujourd’hui le passé de demain!». Pour le maître brésilien, c’est dans les nouvelles possibilités techniques qu’il faut trouver les voies modernes de la beauté et de la poésie. Son béton en est une illustration parfaite.