Bâtiment étendard de la ville de Porto et de son renouveau, œuvre d’un architecte à la renommée internationale, lieu d’innovations programmatique et spatiale, vitrine magistrale pour la plasticité et la technicité du matériau béton: la Casa da Música de Rem Koolhaas est une réalisation unique qui bouleverse son visiteur autant que les archétypes de la salle de concert. Un projet majeur porté par les possibilités du béton et la vision de son créateur.
UN AUDITORIUM UNIQUE EN SON GENRE
Une silhouette étonnante
La Casa da Música est à Porto ce que le musée Guggenheim de Frank Gehry est à Bilbao : un bâtiment iconique, œuvre d’une grande signature de l’architecture contemporaine, qui a revitalisé tout un quartier d’une ville qui, elle-même, a su capitaliser sur cet élément attractif pour transformer son image. Cette salle de concert à la silhouette étonnante mais parfaitement reconnaissable, a été imaginée par l’agence OMA de l’architecte hollandais Rem Koolhaas – en collaboration avec l’agence de scénographie dUCKS scéno, l’acousticien Renz Van Luxemburg et l’ingénieur Cecil Balmond –, à l’occasion de l’élection de Porto comme capitale européenne de la Culture en 2001 (mais l’inauguration officielle n’a eu lieu qu’en 2005).
Rem Koolhaas, star mondiale
Rem Koolhaas remporte le concours international en 1999 pour cet auditorium qui doit être une nouvelle plaque tournante de la régénération urbaine et sociale de Porto. Futur lauréat du prix Pritzker 2000, du Mies van der Rohe 2005 ou encore du Lion d’Or 2010 à la Biennale de Venise, l’architecte est alors déjà un créateur qui compte, avec des projets remarqués comme le Centre Euralille à Lille, le Kunsthal de Rotterdam, la Maison Lemoine à Bordeaux ou l’Airport 2000 Suisses à Zurich. Également professeur, théoricien et urbaniste, il est une des signatures les plus importantes de l’architecture contemporaine.
Un bloc de béton symbolique
Construite au nord-ouest de Porto, la Casa da Música domine la place centrale Praça Mouzinho de Albuquerque, dans un quartier alors en plein renouveau, à la jonction entre la ville historique et celle plus moderne des travailleurs. Une position stratégique qui imposait un projet haut en symboles et en relation étroite avec son contexte multiple. Pensée comme un organisme vivant, la Casa da Música est un gigantesque bloc de béton ceinturé par un parterre minéral qui offre des lieux de rencontre pour les visiteurs et un skatepark ultra-photogénique. C’est aussi un objectif de voyage et un parfait condensé du savoir-faire de Rem Koolhaas et de ses recherches architecturales pour un projet d’auditorium qui casse les codes.
LE BÉTON COMME FIL CONDUCTEUR
Surprendre le visiteur
D’une apparence extérieure assez simple – un monolithe de béton aux francs biseaux – le lieu révèle des espaces intérieurs plus élaborés, subtils jeux de perspectives et de contrastes. Avec une entrée de 30 mètres de hauteur sous plafond, des niveaux étagés de façon asymétrique sur dix plans (sept au-dessus du sol et trois en sous-sol), la Casa da Música est un lieu qui surprend continuellement ses visiteurs par sa forme, sa structure, ses matériaux, son organisation et ses innovations. Aux antipodes de l’archétype de l’auditorium, comme celui d’Oscar Niemeyer à Ravello, le bâtiment est en effet largement ouvert sur son quartier avec de grandes baies vitrées en façades, sans impacter son acoustique. Une première pour une salle de concert!
Richesses intérieure et extérieure
Comme souvent dans ces projets, Rem Koolhaas opte pour une forte imbrication intérieure des vides (salles de concert, bureaux administratifs, etc.), des pleins et des multiples circulations. Sur plus de 23 000 mètres carrés, murs obliques, angles aigus ou plafonds en biais scandent le parcours dans une grande fluidité. La progression se veut complexe, alternant les rapports intimes au cœur du bâtiment et les grandes ouvertures face au vaste panorama urbain avec lequel la Casa da Música instaure un dialogue mutuellement bénéfique, chacun mettant l’autre en valeur.
Mariage des matériaux
Le cheminement tout en dissonance s’accompagne d’un travail poussé sur la variété et le contraste harmonieux des matériaux : le béton se marie ainsi parfaitement avec le verre ondulé, le bois et les feuilles d’or aux zébrures inattendues, le travertin, le velours, l’aluminium brossé et – Porto oblige –, les carreaux d’azulejos, le tout juxtaposé de manière inattendue. Omniprésent, ce béton armé brut de décoffrage laissé apparent forme l’essentiel des surfaces intérieures comme extérieures et le vrai fil conducteur du projet. Il apporte sa touche sensible, sa beauté unique et épurée grâce à une mise en œuvre particulièrement soignée.
SOUPLESSE ET PURETÉ DU BÉTON
Prouesses techniques
Les formes irrégulières des façades extérieures ont imposé une étude fine des coffrages. Les espaces intérieurs sont, eux, ponctués de poteaux en biais et de tirants en béton armé recevant les charges des voiles béton formant l’enveloppe. Des prouesses techniques relevées grâce à la collaboration étroite avec le célèbre ingénieur Cecil Balmond, partenaire des plus grands architectes contemporains pour leurs projets les plus audacieux. Le tout dessine une structure complexe avec des supports inclinés qui rappellent le mouvement déconstructiviste, porté entre autres par Daniel Libeskind, Frank Gehry, Bernard Tschumi ou encore Zaha Hadid.
Continuité spatiale
En plus des murs de 40 centimètres d’épaisseur à la surface apparente immaculée, une attention particulière a été porté sur la fabrication des colonnes intérieures rondes en béton armé: à des diamètres portant jusqu’à 1,20 mètre, elles profitent d’une longueur totale supérieure à 5 mètres sans aucun joint de surface. Le béton, matériau de tous les possibles , se prête alors parfaitement au jeu d’une continuité spatiale presque sans limite. Les extérieurs, eux, sont réalisés à partir d’un mélange de ciment Portland portugais (originellement de couleur bleutée) qui a finalement été blanchi pour obtenir cette teinte singulière qui reflète délicatement la lumière portugaise.
Entre le planifié et l’aléatoire
« Le bâtiment est moderne dans le sens où je ne prétends pas avoir imaginé tous les espaces, résume Rem Koolhaas. Nous avons élaboré une méthode qui permet de produire des espaces différents à partir d’éléments très géométriques et classiques, comme la salle au centre. Ensuite, nous développons des blocs qui, par le biais des structures qui les portent, engendrent à leur tour des espaces qui échappent à notre maîtrise. Nous organisons alors une dialectique entre le planifié et l’aléatoire. » Étrangère à toute lisibilité structurelle et spatiale, la Casa da Música se présente ainsi comme une mécanique complexe à laquelle le béton offre aussi bien une souplesse de conception qu’une plasticité des formes. « J’ai déjà voulu expérimenter des situations où le creux était plus important que les parties construites, comme dans mon projet non retenu pour la grande bibliothèque à Paris, conclut l’architecte. Je dirais que la Casa da Música est l’une des premières démonstrations de « l’absence » d’une salle de concert plutôt que de sa présence. »